• A cinquante jours de l'échéance électorale, le débat n'a pas vraiment refait surface, malgré un appel à la grève des enseignants lancé pour jeudi.

    La réforme des rythmes scolaires, un enjeu des élections municipales ? On a commencé à le penser à l'été 2013, en voyant s'allonger la liste des 20 % de communes – majoritairement de gauche – optant pour un retour à la semaine de 4,5 jours dès septembre. On y croyait fermement à l'automne, après l'appel au « boycott » lancé par Jean-François Copé, chef de file de l'UMP et maire de Meaux (Seine-et-Marne), relayé par un certain nombre d'élus de droite et du centre.

    Mais à cinquante jours de l'échéance électorale, la polémique n'a pas vraiment refait surface. Ou pas encore : un appel à la grève des enseignants a bien été lancé, ce jeudi 13 février, en Seine-Saint-Denis – où seulement 5 villes sur 40 ont déjà changé de rythmes –, mais il reste pour l'heure « circonscrit », reconnaît-t-on au SNUipp-FSU.

    Le principal syndicat d'enseignants du primaire a opté pour la prudence, surtout depuis que son appel à la mobilisation, le 5 décembre, n'a été suivi selon ses chiffres que par 40 % des enseignants au niveau national – 20 % d'après le ministère de l'éducation.

    UNE RÉSISTANCE PERSISTANTE

    La bataille des rythmes serait-elle déjà gagnée, alors que 80 % des villes doivent encore la livrer ? C'est ce qu'a assuré Paul Raoult, le président de la principale fédération de parents, la FCPE. « On est passé à la phase de construction et de préparation de la rentrée 2014, qui, je pense, se prépare avec une certaine sérénité », a-t-il affirmé le 6 février.

    Tout aussi optimiste, le dernier bilan communiqué par la Rue de Grenelle : 88 % des 20 000 communes qui doivent encore sauter le pas à la rentrée 2014 ont déjà – ou presque – finalisé leur emploi du temps. La répartition des horaires sur la semaine, avec généralement un retour à l'école le mercredi matin, « est réglée ou en voie de règlement », affirme le ministère. Dans 5 à 6 % des communes, « il y a encore des difficultés » liées au transport notamment.

    Pour autant, « il semble qu'il y ait une résistance, une contestation de la réforme », reconnaît-il. À l'image de celle entretenue par la cinquantaine de membres du Collectif des maires contre la réforme des rythmes scolaires, emmené par l'édile (UMP) d'Elancourt (Yvelines), Jean-Michel Fourgous. Ou de celle que vient d'officialiser le couple Balkany, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), où l'on entend bien organiser le temps scolaire comme on le souhaite. Invité sur le plateau du « Grand Jury », le 9 février, M. Copé a demandé qu'en cas d'échec lourd de la majorité aux élections municipales, le gouvernement mette un coup d'arrêt à la réforme.

    RÉCLAMATION D'UNE « RÉÉCRITURE TOTALE » DU DÉCRET

    Moins audible, moins relayée ces derniers mois dans les médias, l'inquiétude des professeurs des écoles n'en demeure pas moins forte. C'est ce que révèle le « contre-rapport » communiqué, ce mercredi 12 février, par le SNUipp-FSU.

    Pour étayer sa demande d'une « réécriture totale » du décret, le syndicat majoritaire au primaire a fait appel aux chiffres : 75 % des personnels qu'il a interrogés estiment que leurs conditions de travail se sont dégradées – un taux qui atteint 84 % quand l'avis du conseil d'école n'a pas été suivi. Seuls 22 % estiment que le changement de rythmes a amélioré les apprentissages des élèves. Les deux tiers des écoles n'ont pas de projet ou de réflexion spécifique pour la maternelle. Un enseignant sur deux n'a pas été consulté pour la transition entre les temps scolaire et périscolaire...

    « Tous estiment qu'il manque les autres pièces (programmes, effectifs, Rased, formation continue, plus de maîtres que de classes...) déterminantes pour une meilleure réussite des élèves », conclut le syndicat majoritaire, regrettant que « les leçons de 2013 n'aient pas été tirées pour 2014 ». Pas sûr que les tensions occasionnées pas la « réforme Peillon », bien qu'assourdies ces derniers mois, ne se soient tout à fait tassées.


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    Pour Vincent Peillon, « la réforme du primaire est le premier outil d’amélioration du collège »

     

    Créer un « PISA choc » : c'était l'objectif du Monde en lançant, lundi 3 février, une série consacrée aux mauvais résultats de la France dans l'étude de l'OCDE évaluant les compétences des élèves à 15 ans. Les enfants de pauvres sont-ils condamnés à l'illettrisme ? Peut-on enseigner les mathématiques à tous ? Faut-il être malheureux à l'école pour bien apprendre ? Faut-il en finir avec le collège unique ? A-t-on les enseignants qu'il nous faut ? Nous avons demandé au ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, de répondre à ces questions, explorées tout au long de la semaine.

     

    Les enfants de pauvres sont-ils condamnés à l'illettrisme, demandait « Le Monde » en début de semaine. A vos yeux, ce déterminisme que PISA a mis en évidence est-il enrayable ?

     

    L'école française reproduit les inégalités et les accroît même parfois. La France est même désormais le pays le plus inégalitaire de l'OCDE. Ce n'est pas acceptable, et ce n'est pas une fatalité. Nous avons fixé, dans la loi, un objectif de réduction à moins 10 % des écarts de performance à la fin de la scolarité obligatoire entre les collégiens de l'éducation prioritaire et les autres. C'est un défi, et nous mettons tout en œuvre pour y parvenir. C'est d'autant plus important que la réduction des inégalités est le premier pas vers une amélioration globale du système pour tous, y compris pour les meilleurs. On ne le répète pas assez, mais en éducation, efficacité et justice sociale vont de pair.

     

    Mais, concrètement, que faites-vous de spécifique pour cette population ?

     

    En mettant l'accent, en primaire, sur la maîtrise de la langue et des fondamentaux, c'est à ces enfants que je pense d'abord. C'est pour eux aussi que nous remettons en place une scolarisation précoce. Dans l'éducation prioritaire, nous avons fait progresser la scolarisation des moins de 3 ans de près de 3 points en une rentrée seulement.

     

    Les mesures prises depuis dix-huit mois convergent toutes vers la création d'une école plus juste : la priorité au primaire avec le « plus de maîtres que de classes » et le recentrage de la formation continue des enseignants sur les fondamentaux ; la réforme des rythmes scolaires, qui donne une matinée de plus pour apprendre à lire et des activités périscolaires gratuites à beaucoup plus d'enfants ; des services de tutorat numérique ; la refondation de l'éducation prioritaire, où nous changeons d'échelle.

     

    Il vous a été reproché de ne pas assez communiquer avec les familles, par exemple à propos des « ABCD de l'égalité ». L'information des familles est pourtant un levier pour améliorer la réussite…

     

    C'est un point sur lequel j'insiste beaucoup. D'ailleurs, les relations avec les parents font désormais partie à part entière du métier d'enseignant, ils doivent y être formés, et cela est intégré dans leur service. C'est une nouveauté radicale. Nous avons aussi mis de nombreux outils à disposition des familles, pour accompagner leurs enfants dans les apprentissages, pour ouvrir l'école aux parents, pour leur donner le dernier mot dans l'orientation. Quant aux « ABCD », les associations de parents avaient été consultées, et c'est bien naturel. Mais attention : mieux associer les parents ne veut pas dire ouvrir l'école à tous les groupes de pression et toutes les violences de la société.

     

     

    Les enseignants ont très mal vécu les journées de retrait dans leurs écoles, qu'avez-vous envie de leur dire ?

     

    Lorsqu'une famille retire son enfant de l'école sur la base de rumeurs absurdes, c'est une injure faite à l'éducation nationale et aux enseignants. Ce sont les mêmes qui parlent d'autorité de l'institution et qui la sapent par de tels actes. Cet irrespect envers les professeurs, qui méritent la confiance et la reconnaissance de la nation, m'a profondément blessé. Leur travail, c'est de donner des repères aux enfants, leur permettre de se construire et de grandir. Ils ont tout mon soutien.

     

    Vous nous parlez de l'apprentissage de la langue, mais quid des mathématiques ? Peut-on les enseigner à tous ? A lire les résultats des jeunes Français à PISA, on peut se poser la question.

     

    PISA constate non seulement les lacunes des jeunes Français, mais pointe en outre qu'ils ont une difficulté particulière à utiliser leurs connaissances mathématiques pour appréhender des situations qu'ils rencontrent dans la vie. Cela repose le vieux débat théorique entre l'approche conceptuelle et l'approche empirique d'une discipline, certes, mais cela dit aussi qu'il y a quelque chose à repenser dans notre enseignement des mathématiques. J'ai d'ailleurs saisi le Conseil supérieur des programmes à ce sujet.

     

    Les mathématiques souffrent aussi de leur position de discipline de sélection. On les étudie pour être dans la filière la plus valorisée du lycée et non pas pour elles-mêmes. Mais c'est très difficile à faire bouger, parce qu'on a toujours eu dans ce pays une discipline utilisée pour sélectionner. Cela a été le latin, aujourd'hui ce sont les mathématiques. Cela montre qu'une réforme de l'éducation est d'abord une réforme des mentalités…

     

    En mathématiques comme ailleurs, les élèves français ont un rapport ambigu à l'école, qu'ils trouvent stressante et qui leur donne moins confiance en eux que l'école anglo-saxonne, par exemple.

     

    C'est exact, et c'est mesuré. Pour que l'école change, il ne suffit pas que le ministre le décrète, il faut que les pratiques évoluent dans les classes, et même en dehors, dans les attentes de la société et les représentations des parents. Nous voulons construire une école de la confiance et de la bienveillance.

     

    Pour cela, il faut aider les enseignants, mais aussi changer la façon qu'a l'institution de les traiter. Il faut être cohérent. Par exemple, si les enseignants sont eux-mêmes l'objet d'évaluations-sanctions, leurs propres pratiques d'évaluation s'en ressentiront forcément. Ma mission de ministre est de faire avancer de front ces deux chantiers.

     

    Il n'est pas possible de réussir à l'école sans sérénité, sans plaisir, sans confiance et sans motivation. Alors arrêtons d'opposer plaisir et effort. On peut être plus exigeant lorsque les élèves prennent du plaisir à apprendre que lorsqu'ils souffrent.

     

    Le président de l'UMP, Jean-François Copé, voudrait en finir avec le collège unique qu'il estime trop hétérogène. Que lui répondez-vous ?

     

    Que nous enseigne sérieusement PISA ? Que les pays qui ont des systèmes éducatifs efficaces ont des troncs communs longs et que ceux qui progressent, comme l'Allemagne, allongent ce tronc commun. Au collège, il faut un cadre commun pour tous et une prise en compte des différences. Une exigence commune pour tous les élèves dans la scolarité obligatoire, cela ne veut pas dire un collège uniforme et aveugle à l'hétérogénéité. La réforme que je prépare pour 2015 consiste justement à donner de l'autonomie aux équipes pour construire des réponses pédagogiques différenciées pour leurs élèves. Je veux donner aux établissements plus de moyens que ce dont ils ont strictement besoin pour mettre en œuvre les programmes. J'y consacre 4 000 emplois et, là encore, j'ai demandé au conseil des programmes des propositions.

     

    Mais, en définitive, la réforme du primaire est le premier outil d'amélioration du collège. Si les enfants n'arrivaient pas avec des lacunes aussi importantes en 6e, le collège serait en moins grande difficulté. Ce qui n'empêche pas d'améliorer les transitions. C'est pourquoi nous avons créé le conseil école-collège dans la loi. Il est maintenant obligatoire pour les enseignants de collège de se concerter avec les maîtres du primaire.

     

    Optimise-t-on vraiment le potentiel de 800 000 enseignants ?

     

    Les enseignants n'ont reçu ces dernières années ni la confiance ni les moyens dont ils avaient besoin. Il faut être ambitieux ! D'abord, nous transformons leur formation. C'est un défi pour les ESPE , parce qu'on leur demande de faire quelque chose de radicalement nouveau, une formation progressive, intégrée et professionnalisante. C'est difficile, mais c'est la clé du redressement et nous avançons.

     

    J'ai aussi consulté les enseignants sur les programmes du primaire et sur l'éducation prioritaire. Nous avons revu presque tous les métiers, avec des avancées pour chacun, signes de notre respect, et nous sommes en train d'aboutir avec le secondaire sur la réécriture des décrets de 1950. L'essentiel, j'y veille, c'est de permettre l'adhésion des enseignants et de tous les personnels à la refondation.

     

    Et le blocage des avancements ? Vous avez démenti avoir testé cette source d'économie, mais la rumeur perdure.

     

    Et je la démens à nouveau. Ce n'est ni quelque chose que je propose – cela ne relève pas, d'ailleurs, de mon champ de compétences –, ni quelque chose que je souhaite.


  • LE MONDE | 29.01.2014 à 11h38 • Mis à jour le 29.01.2014 à 11h45 | Par Mattea Battaglia et Stéphanie Le Bars

     

    Dessin d'Aurel sur le boycott des écoles par des parents d'élèves.

    Une centaine d'écoles perturbées par un absentéisme inhabituel des élèves, des syndicats d'enseignants alarmés, un ministre de l'éducation contraint de prendre la parole pour rassurer les parents : bien que limité, l'impact de la « journée de retrait de l'école », organisée vendredi 24 et lundi 27 janvier pour protester contre l'enseignement supposé de la « théorie du genre » dans les classes, a surpris tout le monde.

    Pour cette directrice d'école primaire située à Evreux, en pleine zone d'éducation prioritaire, l'inquiétude des familles a commencé à poindre jeudi 23 janvier. « Les parents avaient reçu le même texto, parfois plusieurs fois de suite, sans qu'ils sachent précisément d'où il venait, même s'il avait l'air de cibler la communauté musulmane », raconte-t-elle.

    Le message reçu pourrait prêter à sourire s'il n'avait été pris au sérieux par quelques parents : « Le choix est simple, soit on accepte la « théorie du genre » (ils vont enseigner à nos enfants qu'ils ne naissent pas fille ou garçon mais qu'ils choisissent de le devenir !!! Sans parler de l'éducation sexuelle prévue en maternelle à la rentrée 2014 avec démonstration et apprentissage de la masturbation dès la crèche ou la halte-garderie…), soit on défend l'avenir de nos enfants. »

    « DÉSAMORCER LA POLÉMIQUE »

    Dans cette école d'Evreux très attachée au dialogue avec les familles, où l'équipe s'est portée volontaire pour expérimenter les « ABCD de l'égalité », il n'a pas fallu grand-chose pour « désamorcer la polémique », note la directrice. « Les parents inquiets sont venus me questionner. Je leur ai expliqué que le nouveau dispositif n'avait rien à voir avec la prétendue théorie du genre, qu'on travaillait sur l'égalité entre les sexes pour lutter contre les stéréotypes, contre une orientation scolaire et professionnelle depuis trop longtemps défavorable aux filles… Et ils sont repartis en disant qu'ils nous soutenaient ! » Le lendemain, 4 enfants – sur 185 – manquaient à l'appel.

    Sur l'ensemble du territoire, l'appel au boycott lancé par Farida Belghoul, figure de la seconde « marche des beurs » (1984) aujourd'hui proche de la formation d'extrême droite Egalité et réconciliation d'Alain Soral (lui-même lié à Dieudonné), a eu un « impact localisé », martèle-t-on au ministère de l'éducation.

    Une centaine d'écoles, sur 48 000, ont été perturbées. Mais près de la moitié des académies ont été concernées, avec parfois une seule école touchée, parfois une vingtaine. Dans deux écoles de Strasbourg, près d'un tiers des élèves manquaient à l'appel. D'autres se sont fait porter pâle dans des écoles du Rhône, de l'Isère, des Pyrénées-Atlantiques, de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne, du Val d'Oise, du Loiret…

    « CLIMAT NAUSÉABOND »

    Alors que de nouvelles « journées de retrait » sont programmées chaque mois, le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a voulu « rassurer tous les parents » : « Ce que nous faisons, ce n'est pas la théorie du genre – je la refuse », a-t-il assuré à l'Assemblée.

    Les syndicats ont tous – ou presque – manifesté leur indignation face à l'écho de cette « opération » relayée sur les réseaux sociaux. « A chaque fois, c'est le même type d'écoles, le même profil de familles qui sont visées : celles des zones sensibles, s'indigne Christian Chevalier, du SE-UNSA. Des familles déjà en difficulté, dont les enfants ont le plus à pâtir d'absences », ajoute-t-il, dénonçant « des actions de guérilla contre l'école de la République réunissant l'extrême droite, les intégristes religieux, les nationalistes et les anti-républicains ».

    Analyse peu différente au SNUipp-FSU. « On assiste à une instrumentalisation des élèves sur des territoires ciblés, une campagne de calomnie à fort retentissement sur Internet qui salit l'institution et les enseignants », déplore Sébastien Sihr, qui se dit choqué par ce « climat nauséabond ». Car au-delà de la dénonciation d'une supposée « théorie du genre », c'est une défiance à l'égard de l'école qui s'exprime ici sur un mode très virulent.

    DES CRAINTES RÉELLES

    « Le ministre doit expliquer de vive voix ce qu'est son projet, qu'on ne soit plus tributaire de ce qui tourne sur Internet », estime Ahmet Ogras, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France et vice-président du Conseil français du culte musulman, « harcelé » par des parents inquiets. De son côté, le responsable du Rassemblement des musulmans de France, Anouar Kbibech, évoque une « inquiétude mais pas d'affolement ».

    Sur les réseaux communautaires, le sujet fait débat. Mais sur le fond, les craintes sont réelles. « Sous couvert de lutter contre l'homophobie et pour l'égalité des sexes, se diffuse une propagande pour l'idéologie du genre et pour l'homosexualité », assure Abdallah Dliouah, imam dans le sud de la France, interpellé sur le sujet par des fidèles. « Ce sujet suscite une énorme émotion, car il touche à la question cruciale de la transmission des valeurs », confirme Nabil Ennasri, du Collectif des musulmans de France, qui dénonce toutefois une tentative d'entrisme de l'extrême droite dans les milieux musulmans.

    Côté enseignants, les rumeurs propagées ces derniers jours en auront sans doute déstabilisé quelques-uns. Mais pour beaucoup d'entre eux, il y a urgence à rappeler le rôle de l'école dans la lutte contre les inégalités et les discriminations liées… au genre.


  • Le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon vient de signer une lettre adressée ce soir aux 53 000 directeurs d'écoles, aux 7000 principaux de collèges et aux 4200 proviseurs de lycées.

    Le texte de deux pages a trois objectifs: demander à ces responsables de terrain d'informer les parents sur le contenu des enseignements, afin de casser la rumeur qui veut qu'il y ait dans les écoles "introduction d'une prétendue théorie du genre"; rappeler l'obligation scolaire qui a été mise à mal par la "journée de retrait de l'école", lundi 27 janvier et soutenir les enseignants "qui peuvent être victimes de menaces et de violences" dans l'exercice de leurs fonctions.

    Le ton de la lettre est grave et le ministre conclut que "quand l'école est attaquée dans ses fondements, il importe de se rassembler autour des valeurs républicaines et de les rappeler avec fermeté et pédagogie". Formule rarement choisie, il y a glissé un "bien cordialement à vous" écrit manuellement!

    Maryline Baumard


  • LE MONDE | 30.01.2014 à 11h11 • Mis à jour le 30.01.2014 à 13h09

     

    L'amendement se résume à une phrase: "L'école primaire assure les conditions d'une éducation à l'égalité des genres."

    C'est bien connu, avec les mensonges : plus c'est gros, plus ça a des chances de marcher. On est en train de le vérifier avec cet ahurissant appel au boycottage des écoles, un jour par mois, qui a déjà provoqué un absentéisme non négligeable dans une centaine d'établissements.

    Coordonné par un site Internet, ce mouvement des « journées de retrait des enfants des écoles » (JRE) entend dénoncer ce qu'il assure être « l'enseignement de la théorie du genre » à l'école, destiné à nier les différences entre filles et garçons et de nature à porter atteinte « à l'intégrité et à la pudeur » des enfants. Histoire d'affoler un peu plus les parents, ses initiateurs évoquent cours d'éducation sexuelle dès la maternelle, incitation à la masturbation et apologie de l'homosexualité…

     

    On croit rêver. Mais la rumeur a pris, et les fantasmes vont bon train. Les « ABCD de l'égalité » ont servi de prétexte à ce grand délire. Lancés conjointement par le ministère de l'éducation nationale et celui des droits des femmes et expérimentés dans dix académies depuis la rentrée 2013, ils consistent à organiser des ateliers pour lutter contre les préjugés et stéréotypes filles-garçons à l'école, afin de corriger les inégalités entre les sexes dès le plus jeune âge.

    BOBARD OU AMALGAME

    Cette fronde serait seulement ridicule si elle n'était révélatrice de deux réalités inquiétantes. La première est politique. Ce mouvement a été lancé par Farida Belghoul, ex-figure de la Marche des beurs dans les années 1980 et qui a, depuis, rejoint la mouvance d'extrême droite « Egalité et réconciliation », animée par Alain Soral, antisémite affiché, fidèle soutien de Dieudonné et qui se réclame désormais du national-socialisme.

     

    Mme Belghoul a reçu le soutien de tout ce que la droite compte de plus réactionnaire (les catholiques intégristes de Civitas, Béatrice Bourges, présidente du Printemps français, Christine Boutin…), bien décidée à mener l'offensive contre tout ce qu'elle estime être une menace contre l'« identité de la personne » : mariage pour tous, droit à l'avortement, égalité homme-femme, débat sur la fin de vie. En outre, cette mobilisation rejoint l'inquiétude exprimée, sur ces sujets, par le Conseil français du culte musulman, qui vient de demander des explications au ministre de l'éducation nationale. Cette sainte alliance, activée par l'extrême droite la plus radicale, ne recule, on le voit, devant aucun bobard ou amalgame.

    Or elle bénéficie, c'est le second constat, de l'extraordinaire efficacité des réseaux sociaux et d'Internet. Ceux-ci sont à l'évidence de fantastiques moyens d'accès au savoir et de formidables outils de débat démocratique. Ils peuvent aussi être de redoutables relais pour accréditer les fables les plus rocambolesques et les théories complotistes les plus échevelées. Surtout quand des agitateurs sans scrupule décident de surfer sur le climat délétère qui taraude la société française.





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